LES CHOSES



Jean-Père – ce septuagénaire qui ne s’est jamais gêné pour déclamer des intuitions comme des vérités – a sorti celle-là l'autre jour : l’homme est un animal fouisseur et empileur. Il l’a dit comme une blague, et c’en était une plutôt bonne en effet, car il était en train de creuser une tranchée étayée par un empilement de pierres glanées sur le plateau, dans le but de dévier l’eau qui arrive du chéneau (lire chnau). Le trop-plein vient inonder la cave du voisin les jours de pluie, en s’infiltrant par le soupirail à ras le sol.

Marie-Mère expliquait derrière son dos qu’il avait déplacé un nombre incalculable de fois les dizaines de tuiles – sans destination mais qui « trouveront un usage à un moment ou à un autre, pour sûr » – stockées sur une petite terrasse en haut du jardin en pente. (où sont-elles maintenant ? voilà un temps que je ne suis pas allée les voir et fais la petite visite traditionnelle du jardin : les nouveaux aménagements, les plantes en fleurs, en boutons, ou en fruits, ou attaquées par le mildiou suivant les saisons.) Elles étaient alors bien rangées empilées sur l’une des plateformes taillées dans le talus et soutenue par deux longs troncs écorcés mis l’un sur l’autre, avec plusieurs autres objets qu’on aurait dit rassemblés là à cause de leur similitude de couleur. En effet, pas grand-chose d’autre que cet élégant camaïeu couleur rouille ne leur donnait raison d’être ensemble, en tout cas pas leur éventuel usage.

Regarder ces deux soixantenaires à la retraite brasser dans le jardin, déplacer objets, cailloux, terre, plants, couper, remuer, et tout et tout, de manière quasi énigmatique, a soutenu la mienne d'intuition que la sculpture est comme un prétexte à déplacer des objets sans raison et prendre un pouvoir sur les choses, à ranger l’environnement, comme on s’efforce toute la journée de trouver des mots pour les choses.