SPORT, FORMES, FENÊTRE ET LE TEMPS QU'IL FAIT



Durant quelques années de ma puberté, j’étais inscrite au club de basket de mon village. Il faut savoir que là où j’ai grandi, les filles faisaient du basket, les garçons du foot, et les riches du tennis, même si cela n’a pas vraiment d’importance pour la suite. Je pratiquais donc ce sport chaque semaine, sous la contrainte parentale il faut bien le dire, car je n’en retirais aucune gratification étant donné mon jeu pitoyable qu’un esprit de compétition quasi nul n’améliorait pas du tout. Le samedi, c’était le jour du match contre les équipes du coin, à domicile ou à l’extérieur. Ce jour-là, nous étions dans le gymnase d’une bourgade savoyarde que je n’identifie plus. Assise sur le banc de touche en éternelle remplaçante — vous imaginez bien pourquoi —, je regardais intensément le décorum du gymnase, les murs en lambris, les menuiseries vert sapin, le revêtement de sol couleur brique avec ses lignes multisports, le plafond en tôle dans les tons beige-marronnasse et rythmé par des poutres métalliques boulonnées peintes de la même couleur. Dans ce plafond une ouverture donnait directement sur le ciel (le déroulement du match me passionnait), il faisait grand beau. Un rectangle bleu lumineux se détachait en contraste de cet ensemble brun et vert sapin avec un ballon orange et quelques tatamis outremer aux coins effrités qui traînaient sur le côté du terrain. En le regardant profondément comme pour le fossiliser, je me suis alors juré de ne jamais oublier cette vision : tu devras te souvenir toute ta vie de ce rectangle bleu.
L’entraîneuse m’a ensuite sommée d’entrer sur le terrain pour mes deux minutes de jeu obligatoires. On me fait une passe que je rattrape, super le terrain est dégagé, couloir vers le panier, je fonce en prenant les cris pour des encouragements. C’est mon moment de gloire, je shoote et marque. Mais ce n’est plus la première mi-temps et je n’avais pas très bien suivi. Un cadeau pour les adversaires.
Finalement, ce bref moment d’humiliation m’aura nettement moins perturbée que le serment fait à moi-même un peu plus tôt, et cette vision intacte, et la fierté de l’avoir vu ce rectangle bleu lumineux, de l’avoir mis quelque part et d’en avoir fait une image.
Dans cette histoire, tout ce qu’il y a autour du rectangle risque d’être bien altéré par le souvenir, par le récit du souvenir et le souvenir du récit du souvenir, ainsi de suite, mais je peux assurer que le rectangle bleu est parfaitement conforme.